L’économie de la collaboration
(2009)
On parle très rarement d'une partie de l’élite sociale palestinienne dont les intérêts s'accommodent de l'occupation, voire en dépendent. Un article du chercheur palestinien Adam Hanieh (« La Palestine au Moyen-Orient... », www.monthlyreview.org/ mrzine /hanieh190708a .htm) donne une bonne idée de cette situation, en analysant les deux projets économiques promus par l’Autorité Palestinienne : Le Plan Palestinien pour la Réforme et le Développement 2008-2010 (PPRD) et Le Couloir pour la Paix et la Prospérité. Voici un large résumé de cet article.
1. Plan Palestinien pour la Réforme et le Développement 2008-2010 (PPRD)
Le PPRD est un projet que l’Autorité Palestinienne (AP) a commencé à mettre en œuvre dans les enclaves qu'elle contrôle. Il a été conçu en étroite collaboration avec la Banque Mondiale (sur la base de propositions de celle-ci) et bénéficie du soutien de l'Etat sioniste et de ses protecteurs : l'Union européenne et les Etats-Unis. Il a été approuvé en décembre 2007 lors d'une conférence à Paris avec la participation du gouvernement israélien. Le montant promis pour financer le plan est de 7,7 milliards de dollars (provenant d’Europe, des Etats-Unis, du FMI et des « pays donateurs »).
Trois éléments sont à la base de ce plan : promouvoir le secteur privé, attirer les investissements étrangers et réduire drastiquement les dépenses publiques. Il s'agit en effet d'entreprendre des réformes fiscales visant à favoriser un « environnement encourageant pour le secteur privé » comme moteur d'une « croissance économique durable ». Le but est de formaliser un réseau d'enclaves sous le contrôle palestinien et de zones industrielles associées dépendant de l'occupation sioniste, et au travers desquels un réservoir de main d'œuvre palestinienne bon marché est exploitée par des capitalistes israéliens, palestiniens, régionaux et, indirectement, internationaux. Le maintien de l'occupation fait donc partie intégrante du plan de « réforme » et de « développement ».
1°) L'élément « réforme ».
Il engage l'AP à mettre en œuvre des mesures économiques draconiennes. Il s'agit de (a) réduire de 21% le secteur public d'ici 2010, soit la suppression de 40.000 emplois (santé, éducation, administration), alors que près d'un million de personnes comptent sur leur travail dans ce secteur pour survivre - d'où, dès l'annonce de ces mesures, des grèves à répétition, même si leur dynamique est limitée par le recrutement clientéliste des employés et par la mainmise du Fatah sur les syndicats; (b) geler les salaires de ce même secteur pendant la même période, alors que l'inflation est de 11% ; (c) pour les particuliers, instituer un « certificat de paiement » des factures de services d'eau, d’électricité ou de téléphone pour obtenir tout autre service administratif (carte d'identité, permis de conduire ou de construire, etc...), et pour les fonctionnaires, déduire directement de leur salaire les factures non payées. Pour s'assurer que cette réforme sera mise en œuvre par l'AP, l’argent promis pour le développement par les pays donateurs est versé sur un nouveau compte bancaire établi à Washington et géré directement par la Banque Mondiale.
Il faut rappeler que jusqu'ici la continuité des services était assurée même quand les factures n'étaient pas payées étant donné le nombre de pauvres (trois-quarts des ménages à Gaza et bien plus de la moitié en Cisjordanie). Il faut rappeler aussi qu'à l'exception d'une petite quantité d'électricité produite à Gaza, tous les services sont fournis par des compagnies de l'Etat sioniste via des intermédiaires palestiniens. L'instauration du « certificat de paiement » veut donc essentiellement dire que l'AP va se transformer en service de recouvrement de dettes pour les compagnies israéliennes et leurs intermédiaires.
2°) L'élément « développement ».
Cet élément consiste principalement à promouvoir la création de zones de réserve de main d'œuvre bon marché pour des entreprises industrielles installées à la frontière des enclaves palestiniennes. Les capitaux israéliens, palestiniens et régionaux (Turquie et pays du Golfe en priorité) y coopéreront en investissant un peu dans le textile et surtout dans la délocalisation des entreprises israéliennes de haute technologie.
C'est ici que l'élément « réforme » croise l'élément « dévelop-pement » : le premier créera les conditions nécessaires pour que les travailleurs acculés par la pauvreté n'aient d'autre choix que d'accepter flexibilité et bas salaires. En outre, dans ces zones, les législations du travail (contrats, salaires, horaires...) palestiniennes et israéliennes ne seront pas d'application et les travailleurs n'auront pas de représentants syndicaux. Les entreprises bénéficiaires de ces conditions « de rêve » pourront alors produire et exporter des produits compétitifs vers les Etats-Unis, l'Union européenne et les Etats du Golfe.
Les mouvements d'entrée et de sortie de ces zones seront contrôlés par l'armée sioniste et les forces palestiniennes de sécurité. L'AP aura donc pour rôle de maintenir l'ordre d'une armée de travailleurs enfermés derrière les murs et les checkpoints. En échange, ses hauts fonctionnaires et l'élite sociale qu'ils représentent, eux, circuleront librement et auront leur part des richesses en provenance de ces zones.
La zone de « Jenin Industrial Estate » est un exemple qui montre que les zones envisagées impliquent que les structures de l'occupation restent en l'état, voire se renforcent. Elle est en effet adossée au « Mur de l'apartheid » au nord de Jenin. La zone de Turkumiyya est un autre exemple qui, lui, montre que la tutelle de l'Etat sioniste est nécessaire à sa mise en place. En mars 2008, Ehoud Barak, Lors d'une réunion avec Rice et Fayyad, a accepté de faciliter la création de cette zone comme « une mesure d'édification de la confiance ».
2. Le Couloir pour la Paix et la Prospérité (CPP)
Ce plan a été conçu lors de la Conférence pour l'Investissement en Palestine tenue en mai 2008 à Bethléem et organisée par les ténors de l'AP. Elle avait pour but de montrer aux investisseurs de Palestine, du Golfe, des Etats-Unis, d'Europe et d’« Israël » que les mesures néolibérales envisagées par le PPRD créent des conditions qui sont « bonnes pour les affaires ». Le CPP consiste en la création d'une zone agro-industrielle, dans les régions fertiles de la Vallée du Jourdain, en vue de la production pour l'exportation. Les fermiers palestiniens y seraient transformés en ouvriers agricoles et sous-traitants d'entreprises à capitaux israélien et régional.
Le CPP entérine ainsi les confiscations et expropriations de terres des quarante dernières années et en intègre la conséquence (la transformation des petits propriétaires en ouvriers) comme condition de sa réalisation. Il n'est donc pas étonnant que l'Etat sioniste ait donné toutes les facilités aux participants à la Conférence de Bethléem. Même des hommes d'affaires de Gaza ont bénéficié de ces facilités, malgré le blocus sur le reste de la population.
3. La stratégie américaine
La stratégie des Etats-Unis (et indirectement de l'Europe) au Moyen-Orient consiste à renforcer leur hégémonie dans la région en créant une zone économique intégrée à « l'économie globale » qu’ils dominent. Au cours des vingt dernières années, mais avec une accélération sous l'administration Bush, ils ont poursuivi une politique d'intégration de cette zone aux intérêts de leurs entreprises par une série d'accords commerciaux bilatéraux. Le but est double. Il s'agit en premier lieu de garantir une zone de libre circulation des marchandises et des capitaux américains. Il s'agit en second lieu de s'assurer d'une main d'œuvre bon marché pour fabriquer des produits à bas prix à destination des marchés américain, européen, israélien et régional.
Les Middle East Free Trade Areas (MEFTA), « zones de libre-échange du Moyen-Orient », sont l’un des outils de cette stratégie et comprennent deux axes principaux. Le premier est l'intensification des habituelles mesures néolibérales : privatisations massives, réductions des dépenses publiques, ouverture aux investissements étrangers, suppression des subventions de l'Etat et des protections douanières, etc... Le second axe est la mise en œuvre des accords de libre-échange bilatéraux qui ouvrent les marchés des pays signataires aux marchandises et capitaux américains (investis de préférence dans des zones franches). De tels accords ont déjà été signés avec le Bahrain, Oman, l'Egypte, la Jordanie et le Maroc. Et chacun de ces accords contient une clause qui interdit tout boycott des relations commerciales avec « Israël ».
Pour atteindre ce but économique, la tactique du gouvernement américain consiste à renforcer l’hégémonie politique et militaire de son pays dans la région. Il lui faut pour cela : 1°) détruire ou soumettre tous les mouvements, régimes et pays récalcitrants (Irak, Syrie, Soudan, Iran, Hezbollah, etc...) ; 2°) soutenir politiquement les Etats clients (Jordanie, Egypte) ; 3°) intégrer militairement les régimes regroupés dans le Conseil de Coopération du Golfe (Arabie saoudite, Koweit, Qatar, etc...) ; 4°) donner tous les moyens (politiques, diplomatiques, militaires) à l'Etat sioniste pour jouer un rôle central dans cette stratégie ; 5°) trouver dans les rangs des Palestiniens ceux qui veulent collaborer et détruire ceux qui ne le veulent pas, en mettant en place un « Etat » auquel est déléguée une partie de la répression des Palestiniens « récalcitrants ».
Conclusion
Les orientations de l’AP (sacrifice des réfugiés et répression) ne résultent pas de mauvais choix politiques faits de bonne foi. Elles résultent directement de la tentative de l'élite sociale palestinienne de trouver sa place dans le cadre du plan d'hégémonie politique et économique des Etats-Unis dans la région. La corruption et les luttes intestines n’en sont qu’une conséquence logique. C'est parce les intérêts de cette élite peuvent partiellement être rencontrés dans le cadre de l'occupation sioniste que l'appareil politique qui représente cette élite (l'AP) collabore et continuera à collaborer avec les occupants et que « l'Etat » qu’elle essaie de promouvoir ne peut être qu'un appendice des structures répressives de l'occupation. Le retour des réfugiés est le dernier de ses soucis.
Collaboration policière
Les bénéficiaires d’une économie de la collaboration font ce que font tous les collaborateurs : réprimer les résistants à l’occupation.
Depuis plusieurs mois, la police de « l’Autorité nationale palestinienne » — pour éliminer toute opposition — mène de continuelles campagnes de répression contre les militants du Hamas et des opposants en général. Plus de six cents personnes sont actuellement détenues en Cisjordanie. En parallèle : d’autres personnes, pour les mêmes raisons, sont licenciées de leur travail ou privées de leurs fonctions ; les établissements et associations d’aide qui ne sont pas « proches » sont fermés.
Tout cela en étroite collaboration avec la police de l’Etat sioniste, collaboration confirmée par un article de Yediot Aharanot qui rapporte un incident révélateur survenu le 19 septembre dernier [2008]. Lors d’une entrevue entre les deux services de sécurité, un commandant palestinien a demandé des formations et des armes à ses homologues sionistes. Il a déclaré, rapporte le journal, que « grâce à nos opérations, l’armée israélienne a moins d’opérations à mener… ». Voilà donc à quoi sert l’Autorité « nationale »... (Le Soir, 18/11/2008)
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