Chroniques du racisme d’Etat

(2006-2008)

Les Belges entre guillemets

(Juin 2006)

Comme rapporteuse de la commission des « droits de l'homme » de  l'Organisation  pour  la Sécurité  et la Coopération  en  Europe (OSCE), Mme Lizin (PS) a rendu visite au sinistre centre de détention américain de Guantanamo. Interviewée avant sa visite elle a qualifié les deux Belges, d'origine marocaine et turque, qui y sont détenus, de « Belges entre guillemets ».  (JT  soir de la  RTBF  du  vendredi 9 décembre 2005)

Elle a ainsi établi une hiérarchie inacceptable entre les citoyens en fonction de leurs origines, contribuant  ainsi à une stigmatisation de caractère xénophobe. Elle a aussi établi une hiérarchie, tout aussi inacceptable, entre les citoyens en fonction de leurs présumés agissements, remettant en cause la citoyenneté de tous, à commencer par

 elle-même : on  se rappelle ses pressions  avérées, violant  la séparation des pouvoirs, sur une juge. La semaine suivante, le président du Parti socialiste, dont Mme Lizin est membre, a promis de réagir... Six mois plus tard on attend toujours.

On a dit que la référence à l'origine maghrébine des agresseurs de Joe Van Holsbeeck a contribué à stigmatiser toute une communauté alors que cette origine était inexacte.

Mais il faut dire surtout que, même si ses agresseurs avaient été d'origine maghrébine, il est injuste d'en rendre responsable l'ensemble de la communauté. Des citoyens ont commis un crime crapuleux et la police et les tribunaux sont là pour instruire et sanctionner. La communauté d'appartenance n'a donc pas à se sentir coupable des agissements de certains de ses membres.

C’est cette attitude que, lamentablement, le président de l'Union des mosquées de Bruxelles n'a pas respectée en annonçant le 21 avril que les imams, au cours du prêche du vendredi, appelleraient les tueurs à se rendre (Le Soir, 26/05/06). Il a ainsi renforcé le stigmate et alimenté l'idée  anti-démocratique que chaque communauté doit  dénoncer  ses propres brebis galeuses.

La hiérarchie établie par  les déclarations de Mme Lizin comme l'ethnicisation des agresseurs de Joe, renvoient toutes deux à une seule réalité : le déni d'une citoyenneté pleine et entière. C'est d'autant plus injuste que l'origine ethnique est utilisée à la carte : quand un membre de la communauté agit mal, on renvoie à son origine pour stigmatiser la communauté,  mais quand  cette  communauté exprime  des revendications spécifiques (en matière de discrimination à l'emploi ou de droits liés à la liberté de culte) on crie au  communautarisme pour l'intimider

Oulemata, Songul, Mohamed

(Juin 2006)

Hans V.T. a 18 ans. Il est le fils d'un membre de la première heure du parti d'extrême droite Vlaams blok/Belang, neveu d'une députée fédérale de ce même parti et tient des propos racistes récurrents à ses amis de classe. Jeudi 11 mai, il descend à Anvers, achète sans difficultés un fusil de chasse et sort dans la rue avec l’intention (avouée plus tard) de tuer un maximum de personnes d'origine étrangère. Il blesse grièvement  une femme d'origine turque portant le voile, il tue une jeune fille d'origine malienne et la fillette flamande de deux ans dont elle avait la garde. Il aurait continué son raid meurtrier s'il n'avait pas été blessé par un policier.

Cette tuerie est survenue un jour après la découverte dans l'Escaut du corps sans vie du jeune Mohamed Bouazza, d'origine marocaine. il avait disparu depuis dix jours après une dispute que sa famille qualifie de raciste devant une discothèque. Elle est survenue aussi une semaine après que trois africains aient été violemment battus (l'un d'eux est dans le coma) par des skinheads à Bruges.

Mais les gens ont vite réagi. Vendredi 12 mai, 500 personnes se sont rassemblées sur le lieu de ce dernier incident. Le même jour, quelques 1.500 personnes de la communauté marocaine de Hoboken se sont retrouvées à la mosquée autour du corps de Mohamed et, quelques jours plus tard, 2.000 autres à l'église autour du corps de la petite Luna. Mais le plus significatif a eu lieu  le vendredi 26  mai, quand plus de 30.000 personnes ont défilé à Anvers sous les mots d'ordre : « stop au racisme » et « la diversité c'est la réalité ».

Toute personne de bon sens peut voir en effet qu'il y a un rapport de cause à effet entre ces actes racistes et la propagande haineuse du Vlaams blok/Belang. A cause de celle-ci, il a été condamné en 2004 et a dû changer de nom (mais sans changer de programme). Et, de par la loi sur le financement des partis, il continue de bénéficier d'une dotation publique. Si l'on cumule celles du régional, du fédéral et les rémunérations de ses 61 députés, on obtient la somme de 5,6 millions d'euros.

C'est   avec   l'argent   de  tous  les contribuables   que   le Vlaams blok/Belang distille la haine raciste contre une partie d'entre eux. Et les preuves ne manquent pas. Exemple : lors d’un meeting le 11 avril dernier, Gerolf Annemans a déclaré : « On les connaît bien, ces jeunes, ce sont tous des Marocains de merde, qui reçoivent un assistant social, un emploi (...) et de préférence une BMW en prime pour poser leur cul ».

C'est avec l'argent de la démocratie que ce parti promeut le fascisme. Il est donc logique de l'en priver. Une requête en ce sens a enfin été introduite au Conseil d'Etat par la commission des dépenses électorales des deux chambres. La loi sur le financement des partis permet en effet la suppression temporaire de la dotation d'un parti s'il est établi que ce parti ou ses composantes sont hostiles aux droits garantis par la Convention des droits de l'Homme. La requête a été signée par le PS, le SP.A-Spirit, le MR et le CDH (Les Ecolos ne sont pas représentés à la commission). Mais le CD&V et le VLD (parti du premier ministre) ont refusé de la signer.

A la suite du raid du jeune Skinhead, le premier ministre a déclaré : « Nul ne peut désormais ignorer ce à quoi l'extrême droite peut mener ». En refusant de signer la requête, il montre qu'il ne tire pas les conséquences qu’il faut de cette connaissance. Pire : il montre où vont ses sympathies. (AFP, Libre Belgique, Le Soir, du 12/05 au 28/05/06). 

Fayçal et les « émeutes » de Bruxelles

(Septembre 2006)

Depuis le 16 septembre, le jeune Fayçal Chaaban (25 ans) est en détention préventive (pour vol) à la prison de Forest. Il y décède dans la nuit du dimanche 25 pour des raisons non élucidées : les autorités vont donner pas moins de trois versions différentes et finiront par admettre qu'il n'est pas encore possible de déterminer les causes précises du décès. Le lendemain, des jeunes, originaires comme  la victime du  quartier des Marolles à Bruxelles, descendent dans la rue pour exprimer leur colère : des voitures sont incendiées, des vitrines brisées, des commerces et du mobilier urbain dégradés. Le mardi 26 et le mercredi 27 septembre : nouvelles émeutes  et nouvelles arrestations  (au  total :

 45,  dont  43 administratives). Et comme d'habitude, les autorités reçoivent des représentants des mosquées qui « s'engagent à prôner le calme ».

En réalité, cette révolte n'est ni fortuite, ni gratuite. Elle intervient dans un contexte où les violences dans les prisons sont aussi banales que de notoriété publique. Dans les commissariats aussi, comme en témoigne le directeur d'un théâtre du quartier : « savez-vous ce qui se passe toutes les nuits dans les caves de l'Amigo ? [commissariat central de Bruxelles] Et quel degré d'humiliation on y inflige parfois ? Je connais un danseur brésilien  qui  s'est  fait  arrêter en rentrant  d'un  spectacle.  Il  avait  le malheur d'être noir. On lui a brisé la rotule. Sa carrière est terminée ». De telles situations font partie du vécu des jeunes. C'est cela qui donne du sens à leur colère. Qu'on commence par en déraciner les causes ; on pourra ensuite prêcher le « pacifisme ».

Dans l'immédiat, le père de Fayçal a déposé plainte auprès du juge d'instruction de Bruxelles. Un de ses avocats a expliqué que son client « n'a que faire de l'innocence ou de la culpabilité de son fils dans les faits qui lui ont valu la prison. Son fils est entré vivant en prison, il devait en sortir vivant. C'est un contrat moral dans un état démocratique ». Le 15 octobre dernier, à l'appel de la famille, une marche à la mémoire de Fayçal a regroupé plusieurs centaines de personnes dans le quartier. Elle réclamait « la vérité et la justice ». (Le Soir, 27, 28 et 29/09/06 ; 16 et 18/10/06 et des sources diverses).

Un raciste avéré sur les listes du PS

(Septembre 2006)

En mai 2004, le chauffeur (d'origine marocaine) de Frédéric Daerden a eu une altercation avec Miguel Mevis, échevin (PS) entre autres des relations interculturelles à Liège. Le chauffeur a porté plainte, l'accusant d'avoir tenu des propos racistes : il avait été traité de « sale nègre ». L'échevin avait été invité par le bourgmestre (Willy Demeyer, PS) à ne plus s'occuper des relations entre communautés, en attendant la fin de l'instruction du parquet.

Deux ans et demi après, rien n'a bougé. Mais Miguel Mévis a voulu se présenter aux dernières élections communales, ce qu'il ne pouvait pas faire tant  que l'affaire n'avait pas été jugée.  Il a donc été obligé de conclure le litige par une transaction de 250 euros. Un aveu de culpabilité aux yeux de la justice. Le Bourgmestre sortant et président de la section liégeoise du PS a approuvé la tactique. Au lieu d'envoyer un message ferme aux racistes, il a préféré récupérer les voix de préférence de M. Mevis en le plaçant en bonne position pour être réélu : 7ème de liste. (Le

Soir, 14/09/06)


Mariages suspects :

avec un(e) sans-papiers, forcés, blancs…

(Juin 2007)

En 2000, la Loi sur le mariage a été amendée pour permettre une enquête de la police de quartier quand un des deux futurs conjoints est sans papiers. En fonction du rapport de police, Le parquet peut ordonner une enquête plus approfondie et d'éventuelles poursuites. L’enquête sur « l’intention » de  certains dans  le mariage est ici discriminatoire

puisqu’on n’enquête pas sur l’intention de certains autres.

Suite en 2006. Malgré les réserves du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur (VLD) et la ministre de la justice (PS)

ont promu une nouvelle loi  visant à renforcer  les  sanctions pénales contre  le mariage blanc. L'article 79 de la Loi de 1980 sur le statut des étrangers prévoyait déjà une peine de prison (8 jours à 3 mois) pour le cas « simple » et ne s'appliquait qu'au partenaire malintentionné. Désormais, la sanction est plus lourde pour le mariage blanc monnayé : de 8 jours à 3 mois de prison et de 26 à 100 euros d'amende. Elle s'applique aux deux partenaires et celui qui est étranger perd son titre de séjour. Il est très significatif que la nouvelle loi ait été adoptée dans le cadre des modifications de la Loi de 1980 sur le statut des étrangers. Tout se passe donc comme si même les naturalisés

continuaient d'être « étrangers ».

Nouvelle suite en 2007. Le 12 avril dernier, à l'initiative de Mme Onkelix (Justice), la Chambre a voté une loi réprimant le mariage forcé. Elle  vise  « toute personne  qui,  par  des  violences  ou  des  menaces contraindra  quelqu'un  à  conclure  un  mariage ».  En  cas  « d'indices sérieux », et sans qu'il y ait plainte de la victime, le Parquet pourra lancer une procédure en vue de l'annulation de l'union. La loi prévoit aussi une peine allant de 1 mois à 2 ans de prison contre la personne ayant exercé la contrainte.

Il est facile de voir que ces nouvelles dispositions 1°) visent principalement  les  communautés d’origine turque et

 maghrébine : un stigmate de plus, car  l'arsenal existant, concernant  la traite des êtres humains par exemple, était suffisant et s'appliquait à tout le monde sans distinction; et 2°) ont été promues par des membres du Parti socialiste.

(Source : Le Soir, 20/03/07 ; 30/04-01/05/07).

Indigènes du royaume

(juin 2007)

Le film de fiction Indigènes (du français Rachid Bouchareb) évoque la contribution des tirailleurs africains, engagés de force par la puissance coloniale, à la défaite du nazisme. Son obtention du prix d'interprétation au

Festival de Cannes en 2006 et son succès en salle ont attiré l'attention du grand public sur le sort qui a été fait à ces « soldats venus d'ailleurs » : l'oubli des morts et la négligence des survivants.

Complément documentaire, La couleur du sacrifice du belge Mourad Boucif a amplifié l'interpellation en donnant la parole aux survivants. Le film comme le documentaire sont venus, ici en Belgique, relayer les échos d'une pièce de théâtre montée deux ans plus tôt (2004) par Sam Touzani au Théâtre royal flamand : Gembloux, à la recherche de l'armée oubliée. C'est  à Gembloux  en  effet  qu'en  1940 les tirailleurs marocains sont tombés par centaines dans la première victoire des alliés.

C'est pour concrétiser l’indignation suscitée par le sort qui est fait à ces anciens combattants qu'un mouvement est né porté par le Collectif pour la Mémoire et la Dignité. Il est animé principalement par des jeunes (filles et  garçons)  de la  « deuxième génération ».  Leur but : obtenir l'égalité de traitement pour les soldats issus des colonies, faire connaître leur contribution à la lutte pour la libération, les intégrer dans la mémoire collective de  la Belgique (grandes  commémorations, manuels d'histoire...).

Trois moment forts des activités du Collectif à Liège : la projection du film La couleur du sacrifice (500 personnes), une conférence-débat (400 personnes) et la visite au cimetière de Chastre pour rendre hommage aux 2000 Marocains tombés sur le champ de bataille à Gembloux.

Il est important que les jeunes aient pris conscience du fait qu'avant que leurs parents ne laissent leurs poumons et leurs reins dans les mines de charbon, leurs grands-parents ont versé leur sang pour ce pays dont ils sont aujourd'hui, hélas, des citoyens de seconde zone : stigmatisés et discriminés. Avec leurs parents, comme avec leurs grands parents, ils ont en commun de n'être pas traités de façon égale, de ne pas être reconnus dans leur dignité.


Autre Belge entre guillemets

(Mars 2008)

Le rapport annuel du Comité R (organe de contrôle parlementaire des services de renseignements) confirme que la Belgique a bel et bien voulu livrer Bahar Kimyongur - citoyen belge - à la Turquie en violation de toutes les règles de droit. En effet, Le 26 avril 2006, une réunion secrète a rassemblé 25 magistrats et fonctionnaires représentant l'Intérieur,  la Justice et les services du Premier ministre. Le but : la Belgique ne pouvant extrader un de ses ressortissants, il s'agissait de trouver une « solution » pour l'extrader illégalement, comme dans les républiques bananières. Comment ? Organiser une surveillance avec l'espoir que Kimyongur se rende en Hollande, le faire arrêter par la police hollandaise qui le mettrait alors à la disposition des autorités turques.

Interpellée, la Ministre de la Justice de l'époque (Mme Onkelinx, PS) avait multiplié les versions et on pouvait en déduire qu'elle mentait très probablement. Maintenant, avec le rapport du Comité R, on sait avec certitude qu'elle mentait.

Pour rappel, Kimyongur était alors en attente de son procès comme sympathisant d'une organisation d'extrême-gauche turque. Le tout dans le cadre de l'arsenal juridique de la loi de 2003 sur les infractions terroristes dont on voit de plus en plus l’une des finalités : interdire à des citoyens belges - n'importe quels citoyens belges - d'avoir une opinion différente de celle du gouvernement (et des groupes d'intérêts associés) sur la politique extérieure de la Belgique.

Pour rappel aussi, Kimyongur avait été condamné en première instance à 5 ans de prison ferme, puis acquitté début février de cette année.   Il   compte   maintenant   porter   plainte  pour   « coalition   de fonctionnaires » et exiger des réparations civiles de l'Etat belge. (Le Soir,25/01/2008 et 08/02/2008).

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