Comptes-rendus
(2002-2008)
AL-ASAAD Mohammed, Mémoire d'un village palestinien disparu, (traduit de l'arabe), commenté par J. Algazy, Paris, Albin Michel, Collection « Histoire à deux voix », 2002, 168 p.
On trouve sous ce titre deux textes. Il y a d'abord Les enfants de la rosée, la traduction du récit poétique d'Al-Asaad, atfâl al-nada (Londres, Riad El Rayyes, 1991). Il y a ensuite Ici se trouvent leur passé, leur présent et leur futur, le commentaire d'Algazy sur ce même récit.
Durant la guerre de 1948, des milliers des palestiniens, terrorisés par les massacres perpétrés par les sionistes (comme à Deir Yassine, Majd al-Drum...) quittent précipitamment leurs villages. D'autres milliers sont expulsés par la violence. La politique des dirigeants sionistes - comme l'affirment sans vergogne leurs documents officiels de l'époque - était de faire en sorte que les localités occupées soient vidées de leurs habitants arabes. Au cours des années suivantes, pour empêcher les réfugiés de revenir dans leurs maisons, l'Etat sioniste a détruit plus de 400 villages. Le principe proclamé et appliqué était de « Ne pas rendre un seul pouce de terre, ne pas accepter le retour d'un seul réfugié » (p. 43). Imm al-Zinat est l'un de ces villages détruits et se trouvait non loin de Haïfa. Et c'est là qu'est né l'auteur des Enfants de la rosée. Au moment des faits, il est en pleine enfance. Puisant dans sa mémoire et celle des villageois, il retrace le vécu de la guerre, de la défaite, de la fuite ou de l'expulsion. Mais, l'auteur ne le fait cependant pas en racontant une histoire qui se suit, mais en précédant par petites touches successives qui évoquent un membre de sa famille, un habitant du village ou un incident du conflit.
C'est ainsi qu'il évoque : les Juifs autochtones qui, parlant des Juifs nouveaux-venus, soupiraient auprès des villageois : « nous voulons que vous restiez, nous n'aimons pas ces étrangers » (p. 48) ; son oncle « perpétuellement en arme » qui alla voir un Anglais de Haïfa pour comprendre pourquoi il devait partir de chez lui après la résolution de l'ONU sur le partage. L'Anglais essaya de simplifier pour lui : « C'est une question qui te dépasse, un problème entre Etats. Ils se sont mis d'accord et tu ne peux que partir » (p. 30) ; sa mère qui n'a jamais pu faire le deuil de son fils aîné. Instruit en anglais, il comprit le dessein colonial sioniste, prit les armes et mourut au combat ; son père qui refusa de dire à qui appartenait le fusil jeté dans les fourrés par son frère. Pendant l'interrogatoire, il se fit casser deux côtes par le milicien sioniste qui accompagnait les Anglais qui ont encerclé le village. La prison le réconcilia avec sa femme (qui lui en voulait de ne pas avoir protégé leur fils aîné) et lui rendit sa fierté : « ils n'ont pas pu lui arracher un mot sur le fusil, même s'il ne dissimulait pas sa colère contre son frère » (p. 28).
L'auteur évoque aussi le Cheikh Hamza, le villageois diplômé d'al-Azhar, vaincu et ne comprenant pas pourquoi, le vieux soldat turc du village, l'instituteur, le valet de ferme, etc. Et peu à peu prend forme l'image, vécue de l'intérieur, de ce qu'a été la tragédie et la grandeur de ces paysans palestiniens devenus tout à coup des étrangers dans leur propre pays et qui, impitoyablement, ont été poussés vers la mort, la folie ou l'exil. Pour cela, malgré quelques passages un peu répétitifs, un livre à lire ! Le commentaire de Joseph Algazy est également remarquable.
Sylvain CYPEL, Les Emmurés. La société israélienne dans l’impasse, Paris, La Découverte, 2005, 440 p.
Depuis quelques années, les livres s'adressant à l'opinion occidentale et qui mettent à mal la propagande sioniste se sont multipliés. Depuis quelques années aussi, et surtout, se sont multipliés les livres de ce genre écrits par des Israéliens ou des ex-Israéliens, ce qui leur donne plus de crédit : Pappé sur l'expulsion des Palestiniens en 1948, Hass sur l'occupation à Gaza, Eldar et Zertal sur les colonies en Cisjordanie, Warschawski sur la répression des opposants juifs au sionisme, etc.
Le livre de Cypel est une nouvelle contribution dans ce cadre. L'auteur a vécu 12 ans sur place et a été journaliste du journal Le Monde. Il a donc de la réalité qu'il décrit une connaissance directe, interne et prolongée. Mais il a, en même temps, suffisamment de distance pour l'analyser avec peu de parti-pris. Son livre a pour objet principal la mentalité avec laquelle les Israéliens vivent leur rapport aux Palestiniens, l'insensibilité aux souffrances qu'ils ont infligées et infligent à ces derniers. Le premier élément qu'il retient est le mécanisme habituel qui a pour fonction de garder une bonne image de soi : s'ériger continuellement en agressé, en victime. Le deuxième élément est une implication du premier. Il s'agit de la négation de la réalité du passé comme du présent : l'expulsion des palestiniens, les discriminations, l'occupation et la répression. Pour la démonstration, l'auteur analyse la polémique sur le massacre de Tantoura (1) suscitée par la thèse d'histoire de Teddy Katz (le massacre n'a pas eu lieu parce que l'auteur n'a pas de crédit), la question des réfugiés (les palestiniens n'existaient pas, donc les réfugiés non plus), le sentiment de supériorité (les Palestiniens sont des « animaux dangereux », il n'y a pas d'autre choix que de les mater et de les dominer), les études orientalistes israéliennes (les Palestiniens n'ont pas d'identité ou d'aspiration nationales), l'enseignement de l'histoire (il n'y a pas eu d'expulsion, mais uniquement « des départs volontaires », pas de Palestiniens, mais des « Arabes qui vivaient en Eretz Israël », pas de Palestine mais « l'Eretz Israël mandataire », etc...).
La deuxième partie du livre analyse les changements intervenus dans cette mentalité à la suite de deux évènements majeurs : l'occupation du reste de la Palestine en 1967 et l'impact des deux intifadas (1987 et 2000). Outre la confiscation graduelle des terres, l'occupation a eu pour principale conséquence d'installer l'armée sioniste dans le quotidien brutal de toute armée d'occupation face à une population désarmée. Graduellement, cette occupation a ainsi poussé une partie des Israéliens vers l'extrême droite religieuse pour légitimer tant les confiscations (cette terre est à nous, Dieu nous l'a donnée) que les méthodes qu'impliquait leur mise en œuvre (brimades, humiliations, arrestations, brutalités, torture institutionna-lisée...). L'auteur parle d’ « algérisation » et de « pied-noirisation rampante » de la société israélienne avec ce que cela implique de racisme, d'apartheid et de mise en état de siège ininterrompue des occupés pour les faire renoncer par la force à leur désir d'indépendance.
Or, en même temps et en sens inverse, la réalité de cette occupation mettait mal à l'aise une partie croissante d'autres Israéliens et donnait naissance à ce que l'auteur appelle le « camp moral ». On y trouve de tout : de l'ONG B'Tselem (qui s'occupe des droits de l'homme dans les territoires occupés) aux refuzniks (les soldats qui refusent de servir dans ces mêmes territoires). Le point commun à tous c'est, écrit Cypel, le « refus d'être associés à la dérive ethniciste de leur société, un sentiment de honte de ce qu'il advient d'elle ». D'où l'opposition à la « sale guerre », au tout sécuritaire, le refus de « la guerre des colons » (par opposition à une guerre de défense, de survie), la prise de conscience du problème des réfugiés, le rejet des inégalités et des discriminations imposées aux Palestiniens. D'où, surtout, l'ampleur du phénomène de ceux qui quittent Israël — des jeunes pour la plupart, et souvent pour simplement pouvoir vivre « normalement », après avoir vainement essayé d’ignorer ce qui se passe tout près d’eux, tous les jours : la souffrance des palestiniens.
En conclusion, « l’impasse de la société israélienne » peut être résumée ainsi : (a) ou bien reconnaître le tort fait aux Palestiniens expulsés, renoncer aux discriminations et à l’occupation mais, ce faisant, accroître les tensions internes (avec l’extrême droite religieuse) et faire son deuil du rêve sioniste d’un « Etat juif sur l’ensemble d’Eretz Israël » ; (b) ou bien maintenir une situation injuste par la force et la violence, mais, ce faisant, éloigner la perspective d’une vie « normale », accroître tout autant les tensions internes (cette fois avec le camp moral) et être confronté à un isolement international conjugué à une plus grande et dangereuse dépendance vis-à-vis des seuls Etats-Unis. Dans tous les cas, la rupture de la cohésion interne semble irréversible. C’est cela la réalité de l’impasse et l'auteur réussit remarquablement à nous la rendre proche.
SIGNOLES Aude, Les Palestiniens, Paris, Editions Le Cavalier bleu, coll. « Idées reçues », 2005, 128 p.
Le principe de la collection « Idées reçues » est de s'emparer, sur un thème donné, de « vérités » acceptées sans discussion par beaucoup de gens, souvent suite au matraquage médiatique, et de les mettre à l'épreuve des faits. C'est ce que fait l'auteure pour la question palestinienne en partant de trois thèmes : histoire, société et vie quotidienne, vie politique et diplomatique. Pour chacun, elle confronte une dizaine d'idées reçues aux faits auxquels, presque toujours, ces idées ne résistent pas. Exemples d’idées reçues examinées : Les Palestiniens « ont quitté leurs terres à l’appel des gouvernements arabes en 1948 », « ont toujours lutté par le terrorisme », « Les accords d’Oslo ont donné un Etat aux
Palestiniens », etc..
Ecrit avec clarté et concision, le résultat est excellent. Ce livre est à conseiller vivement (ou à offrir) à tous ceux qui veulent s'initier au problème, qui veulent vraiment comprendre en allant au-delà de ce que disent les médias. Il vient utilement s'ajouter à deux autres excellents outils d'initiation : Les Palestiniens dans le siècle d'Elias Sanbar (Gallimard, 1988) et Israël-Palestine : vérités sur un conflit d'Alain Gresh (Fayard, 2002). Le livre sera également utile à tous ceux qui sont déjà acquis à la cause. Ils y trouveront des argumentaires serrés pour mieux la défendre.
John MEARSHEIMER et Stephen WALT, Le Lobby israélien, 2006, Disponible sur le net à l’adresse : www.ism-france/news/article.php?id=4471&type=analyse &lesujet=sionisme – L’article est inspiré de l’ouvrage des mêmes auteurs, Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, Paris, La Découverte, 2007. (Traduit de l’anglais)
S.N.A., « Israël/Etats-Unis : Qui est le maître ? », Bulletin de Comaguer (Comprendre et agir contre la guerre, Marseille), n°15, semaine 36, 2006. Disponible sur internet à l’adresse : www.michelcollon.info/ articles.php?dateaccess=2006-09-07%2007=32: 01& log=invites
Voici deux articles complémentaires sur les relations entre le sionisme et les gouvernants des Etats-Unis, avec une information de grande qualité. Le premier montre que le soutien quasi inconditionnel que les Etats-Unis apportent à l'Etat sioniste porte préjudice aux intérêts nationaux des Etats-Unis : il « complique les relations de l'Amérique avec le monde arabe », handicape la lutte contre le « terrorisme » en maintenant des situations d'injustice qui le favorisent et rend peu crédible le discours sur la démocratie ou la non-prolifération nucléaire. Il montre ensuite qu'aucune raison morale ou de stratégie régionale ne justifie le niveau remarquable de ce soutien et l’explique par « le pouvoir inégalé du lobby israélien » aux Etats-Unis et par le manque de discernement de l’administration.
Le deuxième article fait le même constat et propose la même explication - la puissance du lobby sioniste (2) - dont il fait une description impressionnante : institutions, finances, méthodes de pressions, activités de « formatage de l'opinion », alliance avec la droite protestante et résultats : pour l'Etat sioniste, une aide financière et militaire colossale, un soutien diplomatique assurant l'impunité et des accords commerciaux avantageux.
L’efficacité de ce lobby est en partie expliquée par le contexte institutionnel des Etats-Unis : l'Etat y est faible, les élus précaires (ils dépendent pour leur élection des collectes d'argent auprès des riches) et les juges fragiles (car continuellement renouvelés par voie électorale). Il en résulte que la politique du gouvernement est l'expression des intérêts de lobbies qui peuvent s’attacher les services des élus ou des gouvernants. La démocratie américaine est en réalité « un système où la corruption est normale et légale ».
On en arrive donc à ceci : « l’influence déterminante » du lobby sioniste sur la politique extérieure des Etats-Unis est expliquée par la puissance de ce lobby, mais les raisons de cette puissance, elles, restent mystérieuses. C'est qu'on oublie une chose importante : les intérêts économiques dans le cadre de l'hégémonie américaine et les intérêts politiques qui en résultent pour le super-lobby, celui des grandes multinationales (dont les individus du lobby sioniste font partie intégrante). Ce sont ces intérêts qui déterminent les rapports (faits de protection et d’utilisation) des Etats-Unis avec l'Etat sioniste. Le lobby peut augmenter la marge de manœuvre de l’Etat sioniste dans le cadre de ces rapports, mais il ne peut en déterminer ni la nature ni l’orientation. Il ne tire donc sa puissance ni de la corruption du système américain (simple facteur favorable valable pour tous les lobbies) ni de « l’aveuglement » des gouvernants, mais de son insertion dans les intérêts du super-lobby. Ce dernier continuera d’avoir dans l’ensemble la même politique, même sans le lobby sioniste. Il en sera ainsi tant que les inconvénients du soutien inconditionnel au sionisme seront jugés moins graves que les risques de l’affaiblissement d’un allié sûr. Simple calcul : s’il change, le lobby sioniste n’y pourra rien !
Jimmy Carter, Palestine : la paix ou l'apartheid, Paris, Editions de l'Archipel, 2007, 240 p. (Traduit de l’anglais)
Paru en anglais en 2006, le livre de l'ancien président des Etats-Unis (1977-1981) a fait l'objet d'attaques violentes de la part du Lobby sioniste aux Etats-Unis. Ce dernier a traité l’auteur de tout : « ami des tyrans de gauche », « antisémite », « diaboliseur d’Israël », etc. Ce qu'il dit est pourtant très modéré. Il compare la situation en Palestine à l'apartheid en Afrique du sud (sans d'ailleurs relever tous les points de comparaison) et formule des conditions de paix qui sont largement favorables à l'Etat sioniste : des garanties sur la sécurité de l'Etat d'Israël (pas sur la sécurité des occupés), la fin des violences des Palestiniens (pas de celles de l'occupant) et l'octroi d'un Etat aux Palestiniens (sans retour des réfugiés).
Or, même des propositions aussi modérées sont inacceptables pour le mouvement sioniste. Son objectif (s'emparer et dominer l'ensemble de la Palestine) est en effet incompatible avec une quelconque reconnaissance des droits des Palestiniens (en partie reconnus par la troisième condition de Carter). Et c'est la raison de la colère du Lobby. Mais ce qui est intéressant c'est que le livre de Carter s'est très bien vendu aux Etats-Unis mêmes. Ce qui reflète le changement qui est en train de s'opérer dans l'opinion publique américaine (après celle de l'Europe) sur la question palestinienne. Il a au moins ce mérite.
Ilan PAPPE, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Paris, Fayard, 2008, 395 p. (traduit de l'anglais)
A la fin de 1947, La Palestine compte près de 2 millions d'habitants. Un tiers sont des Juifs palestiniens ou venus d'Europe sous l'impulsion du mouvement de colonisation sioniste. Les deux autres tiers sont des Arabes palestiniens (chrétiens ou musulmans). La résolution 181 des Nations Unies de novembre 1947 décide sa partition en trois territoires. Dans le premier et le plus étendu, les Juifs seraient légèrement majoritaires. Dans le second, les Arabes seraient très majoritaires. Le troisième, moitié des uns et moitié des autres, est zone neutre et mis sous autorité internationale. Un an plus tard, il n'y a plus de zone neutre (Jérusalem est divisée en deux) et il n'y a pas d'Etat « arabe », car son territoire est en partie passé sous l'autorité du Royaume de Jordanie ou de l'Egypte. Un an plus tard, un « Etat d'Israël » est installé sur 78 % du territoire. 800.000 Palestiniens du nouvel Etat se retrouvent refugiés dans les pays avoisinants, en Cisjordanie, à Gaza et à l'intérieur du nouvel Etat (les déplacés réinstallés dans d'autres villages s’ils renoncent à leurs propriétés dans leurs villages d'origine).
Les historiens officiels du sionisme ont largement diffusé les mythes selon lesquels ces « Arabes » avaient fui sans y être directement contraints, qu'ils étaient partis suite à l'appel des radios arabes qui promettaient que le départ serait provisoire, etc. Ce qu'on appelle les « nouveaux historiens israéliens », toutes tendances confondues, ont depuis une quinzaine d’années battu en brèche ces mythes : il n'y a jamais eu d'appel des pays arabes, il n'y a jamais eu de départs de plein gré. Mais nombre d'entre de ces historiens, pour justifier l'injustifiable, se sont alors réfugiés derrière un autre mythe : les « aléas de la guerre ».
D'où l'importance du livre d'Ilan Pappe. Il pointe la responsabilité du sionisme en ce qu’il impliquait dès le départ la nécessaire expulsion des Palestiniens. S'appuyant sur les archives de l'Etat sioniste, des journaux personnels, des témoignages directs, il démontre de façon irréfutable que le « départ » des Palestiniens est le résultat de l'application d'un plan mûrement réfléchi par les dirigeants sionistes et appelé le plan « Dalet ». Son but : procéder à l'expulsion délibérée et systématique des Palestiniens de leur patrie - un « nettoyage ethnique » tel que défini et condamné par le droit international. Ils ont bénéficié pour cela d'un accord secret avec le roi de Jordanie et de la complicité au moins passive de la puissance mandataire (Royaume Uni). Ils ont bénéficié aussi de la supériorité militaire de leurs milices, supériorité qui leur a permis (par la violence, par l'intimidation, par la terreur résultant de massacres ciblés de villageois) de pousser au départ une population sans défense.
Les historiens palestiniens ont depuis longtemps - partiellement au moins - démontré tout cela. Maintenant que les faits sont entérinés par des « historiens israéliens » eux-mêmes et de façon magistrale par Ilan Pappé, plus personne - s'il est intellectuellement honnête - ne pourra plus parler des réfugiés palestiniens de la même manière. Plus personne - si toutes les détresses humaines se valent à ses yeux - ne pourra s'opposer à leur droit de rentrer chez eux en Palestine et non dans un « Etat juif », c'est à dire un Etat où les « Arabes » sont des sous-citoyens dans leur propre pays, parce qu'ils n'ont pas la bonne étiquette (« être juif »).
C’est cette exigence de citoyenneté qui, entre autres, ressort de cet extrait de la préface de l’auteur : « Cet ouvrage n’est expressément dédicacé à personne, mais je l’ai écrit d’abord et avant tout pour les Palestiniens victimes du nettoyage ethnique de 1948. Beaucoup sont des amis et des camarades, beaucoup d’autres sont pour moi des anonymes, mais, depuis que j’ai eu connaissance de la Nakba, je n’ai cessé de porter avec moi leur souffrance, leur perte, leurs espoirs. Ce n’est que quand ils reviendront que je sentirai enfin clos, comme nous le souhaitons tous, le chapitre de la catastrophe, ce qui nous permettra à tous de vivre dans la paix et l’harmonie en Palestine » (p. 8).
Sur cette voie, le livre d’Ilan Pappe est incontournable !
Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Fayard, 2008, 446 p. (Traduit de l’hébreu).
Parallèlement au mythe de « la terre sans peuple pour un peuple sans terre », Les historiens du sionisme ont largement diffusé le mythe selon lequel les réfugiés palestiniens sont partis de leur plein gré. Ce qu'on appelle les « nouveaux historiens israéliens » ont démontré, faits à l'appui, que les Palestiniens ont été massivement et violemment expulsés selon un plan mûrement réfléchi par les dirigeants sionistes.
Autre mythe fondateur du sionisme : celui qui prétend qu'un « peuple » juif ou qu'une « nation » juive vivait sur la terre de Palestine depuis plus de deux mille ans et qu'il a ensuite été poussé à l'exil par les Romains et dispersé. Il a néanmoins continué à être uni et à aspirer au retour sur « la terre de ses ancêtres ». L'établissement de « l'Etat d'Israël » au vingtième siècle est alors présenté comme la réalisation de cette aspiration. Shlomo Sand, met magistralement à mal ce mythe aussi. Au terme d'une enquête historique rigoureuse, il montre en effet que la majorité écrasante des Juifs n'ont pas quitté la Palestine et se sont assimilés par les conversions successives au christianisme puis à l'islam. L'essentiel donc de ce qu'on appelle la « diaspora en exil » est constitué de populations autochtones convertis au judaïsme. L'idée de « retour » qui fonde le projet sioniste tombe donc à l'eau. Le livre accentue ainsi l'impasse du sionisme politique : des Russes, Polonais, Allemands, Français immigrent en Palestine et prétendent considérer les natifs - les Palestiniens, toutes religions confondues - comme des étrangers.
Dans le cadre de la contestation intellectuelle du sionisme par les israéliens eux-mêmes, ce livre est un jalon majeur. Fait significatif : la version en hébreu de ce livre s'est vendue comme des petits pains en « Israël » et la traduction française a déjà dû être rééditée à trois reprises en moins de deux mois !
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Notes
(1) le 23 mai 1948, des troupes d'élites sionistes prennent d'assaut le village palestinien de Tantoura (près de Haifa) et, alors que les villageois s'étaient rendus, assassinent de sang-froid plus de 80 d’entre eux, préalablement obligés de creuser eux-mêmes la fosse commune où ils seront jetés. Les autres seront expulsés. Les massacres du même genre se comptent par dizaines et leur écho a joué un rôle important dans la fuite de milliers d'autres villageois.
(2) Cette qualification est plus exacte que celle de « lobby juif » car ce lobby ne touche que 2 millions sur les 6 millions de Juifs des Etats-Unis et, en revanche, implique des milliers de non-juifs.
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