Comptes-rendus

Nico HIRTT et J.P KERCKHOFS, Inégaux devant l'Ecole, Bruxelles, APED, 1996-1997, 101 p.

Sur ce type d’inégalités, le récent ouvrage de N. Hirt et J.P. Kerckhofs apporte une bonne contribution. Il reprend les résultats d'une enquête réalisée dans le Hainaut sur les déterminants sociaux de l'échec et de la sélection scolaires. Les données recueillies permettent d'établir assez nettement une corrélation entre les parcours scolaires et l'origine sociale des enfants. L'école est en effet loin d'offrir des « chances égales » à tous. Au contraire, « elle divise les enfants selon leur origine sociale pour les inscrire dans les filières d'enseignement hiérarchisées » (p.36).

Voici les faits. A la fin du primaire, l'inégalité est déjà inscrite dans les « points » des élèves. Selon que le revenu de ses parents le situe dans les couches riches ou dans les couches pauvres de la population, l'enfant aura respectivement 7 sur 10 ou seulement 4 chances sur 10 d'obtenir une cote d'au moins 80% (p. 25). La sélection se poursuit dans le secondaire. 9% des enfants d'ouvriers et 17% des enfants de parents « sans profession », bien que n'ayant jamais redoublé, se retrouvent en « première accueil ». A l'inverse, l’enfant de cadre, d'enseignant ou de médecin n'a que 4 chances sur 100 de se retrouver (avec ou sans redoublements) en section d'accueil. Au premier degré de l'enseignement secondaire, 36% des enfants d'ouvriers ont déjà redoublé au moins une fois. A deuxième degré, ce pourcentage est proche des 50%. 

Au terme des 9 années d'études (à compter de l'entrée en primaire), un enfant d'ouvriers à 13 chances sur 100 d'avoir redoublé plus d'une fois, contre 4,8 sur 100 pour les enfants de cadres ou de professions libérales (p. 23). De plus, « dans les milieux populaires, le redoublement est beaucoup plus fréquemment 'sanctionné' par une réorientation. Plus de la moitié des élèves nés de parents sans diplôme secondaire se retrouvent en professionnelle dès leur dixième année d'enseignement. L'enfant d'un diplômé de l'enseignement supérieur, lui, n'a qu'1 chance sur 10 de se trouver dans l'enseignement professionnel à cet âge-là » (p. 36).

Reste à expliciter les mécanismes qui sont à l'œuvre dans le processus de sélection sur la base de l'origine sociale. Sur ce point, l'enquête permet d'écarter assez clairement les raisons qui sont souvent avancées. Dire par exemple que l'orientation d'un élève vers telle ou telle filière est un moyen de lui assurer une formation « conforme à ses aptitudes » n'explique pas pourquoi, si aptitudes il y a, celles-ci se concentrent préférentiellement chez les enfants des classes riches. On peut opposer le même argument à ceux qui avancent que la différentiation sociale des résultats scolaires s'expliquerait principalement par des facteurs génétiques. L'enquête permet aussi et surtout d'écarter une idée beaucoup plus répandue : affubler les élèves d'origine populaire d'un handicap « socioculturel », et donc les considérer comme « intellectuellement déficients » parce qu'ils « vivraient dans un milieu familial développant 'trop peu' de stimulations intellectuelles et apportant à l'enfant une 'trop faible' maîtrise de la langue maternelle » (p. 36). C'est avec cette idée qu'on veut par exemple expliquer les mauvais résultats scolaires des enfants issus de l'immigration. Or si les élèves de parents belges réussissent globalement mieux que ceux dont les parents sont originaires d'un pays pauvre, l'enquête montre bien que cette inégalité ne reflète que les différentes compositions sociales des deux groupes puisque, « à classe sociale égale, la tendance s'inverse : les enfants d'ouvriers italiens ou marocains réussissent mieux que les enfants d'ouvriers belges » (p. 37). En vérité, les mécanismes qui interviennent dans le processus de sélection sont à la fois ailleurs et beaucoup plus complexes.

Il y a tout d'abord l'existence d'une structure scolaire de semi-marché où les écoles sont des entreprises concurrentes : certaines refusent de dépasser un certain quota d'enfants soit d'origine étrangère, soit d'origine populaire, favorisant ainsi la consolidation de l'opposition entre école-ghetto et école d'élite. Il y a ensuite une injustice flagrante qui fait que l'enseignant anticipe - parce qu'il « sait » - le destin social et applique en conséquence un niveau d'enseignement différent aux uns et aux autres et oriente différemment les uns et les autres. Il y a en outre l'inégalité des conditions de travail à domicile du point de vue encadrement matériel et humain, alors que le système éducatif présuppose que chaque élève trouvera à la maison « un bureau, une bibliothèque, un ordinateur et une maman diplômée de l'université » (p. 37). Il y a enfin le problème de la motivation au travail scolaire, elle-même liée à l'attitude face au savoir. En effet, l'enfant du peuple intériorise l'idée de son milieu selon laquelle les savoir n'est intéressant que s'il permet d'obtenir des résultats.

Il peut donc être amené à décrocher rapidement si l'enseignant n'est pas capable de lui en expliquer l'utilité. Pour l'enfant des classes « supérieures », le savoir est également « un signe de reconnaissance sociale et un instrument de pouvoir » (p. 37). Il reste donc motivé dans son effort d'apprentissage même s'il ne perçoit pas l'utilité de tel ou tel enseignement particulier en vue de la vie active.

W. HAELSTERMAN et M. ABRAMOVICZ, La représentation électorale des partis d'extrême droite, Bruxelles, CRISP (Courrier hebdo, 1997, n° 1567-1568), 55 p.

Le dernier numéro du Courrier hebdomadaire du CRISP rassemble et expose avec rigueur et sérénité les données électorales, depuis la fin des années septante, des différentes formations d'extrême droite en Belgique et principalement le Vlaams Blok, le Front National et Agir.

La première partie est consacrée à une « brève radiographie » des partis d'extrême droite (directions, programmes, activités, divergences internes). Il en ressort que l'extrême droite en Belgique, à quelques nuances près, reprend les thèmes classiques de l'anti-communisme, du renvoi des étrangers, de la sécurité, de la réduction des impôts et de l'éthique anti-magouilles et corruptions. Il en ressort aussi que l'extrême-droite flamande est beaucoup plus unie que son homologue wallonne - phénomène qui mériterait un essai d'explication.

La deuxième partie est consacrée aux résultats électoraux des différents partis à chaque niveau de représentation : Parlement européen, Chambre, Sénat, Conseils de Région et de Communauté et Conseils provinciaux et communaux. Suivre, à travers le nombre de sièges obtenus, l'évolution des différentes formations est rendue difficile par les changements introduits par la réforme des institutions en mai 1993. Cette réforme, par exemple, fixe à 150 le nombre des élus à la Chambre, alors que celle-ci en comptait 212 auparavant. La comparaison des chiffres relatifs au nombre de voix recueillies permet, par contre, de suivre les évolutions de façon plus probante. 45 tableaux exposent les données relatives aux résultats électoraux des partis étudiés.

Il en ressort, en premier lieu, que la percée de l'extrême droite est postérieure à 1985 et correspond donc à la période connue en France sous le nom d' « effet Le Pen ». Exemple : au scrutin européen, le Vlaams Blok passe de 73.174 voix en 1984 à un peu plus 241.000 en 1989. En second lieu, et indépendamment du type de scrutin, le nombre de voix recueillies par l'ensemble de l'extrême droite, bien que croissant depuis 1985, tend à se stabiliser autour de quelque 600.000 (11% des suffrages exprimés). Exemple : aux élections à la Chambre, le Vlaams Blok et le Front National réunis obtiennent 88.933 voix en 1985, 470.274 en 1991 et 613.880 en 1995. La croissance, très nette de 1985 à 1991, l'est beaucoup moins pour la période suivante. En troisième lieu, le poids du Vlaams Blok en pays flamand est beaucoup plus important que celui du Front National en pays wallon. Exemple : aux élections communales de 1994, le Vlaams Blok a recueilli plus de 28% des voix dans la commune d'Anvers et près de 20% dans celle de Malines, alors que le meilleur score du Front National, obtenu à La Louvière, n'a été que de 14,4% des voix. Il n'est peut-être pas sans intérêt de signaler ici - actualité oblige - qu'aux élections du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale en 1995, le Front National a réalisé son meilleur score dans le Canton d'Anderlecht où ont eu lieu les « incidents » des 7 au 9 novembre 1997, et que le Vlaams Blok est le premier parti flamand dans le canton de Schaerbeek où a lieu le bras de fer avec le commissaire Demol.

Un mot enfin sur les résultats obtenus par l'extrême droite dans la province de Liège. Aux élections du Conseil provincial, les résultats ont été les suivants :

Aux élections communales de 1994, c'est Agir qui a obtenu la plus forte représentation : 7 sièges et 12.128 voix contre 6 sièges et 10.318 voix pour le Front National. En additionnant les résultats des deux formations, on obtient le tableau suivant : 

Il serait intéressant de savoir le sens du vote des 2 conseillers d'extrême droite (l'un d'Agir et l'autre du Front National) lors de l'adoption récente, par le Conseil communal de Seraing, de la Charte contre le racisme. On se souvient sans doute que, lors de l'adoption de cette même Charte par le Conseil communal de Liège, les conseillers d'extrême droite avaient voté contre. On peut logiquement supposer que ceux de Seraing ont voté dans le même sens.

Travail utile donc. On peut simplement regretter que les auteurs n'aient pas jugé bon de donner à chaque fois, en regard du nombre des sièges obtenus par l'extrême-droite, le nombre total des sièges à pourvoir, comme ils l'ont fait pour les tableaux 25 et 36. On peut aussi regretter qu'ils n'aient pas donné, contrairement à ce qu'ils ont fait pour le reste, un tableau globalisant les résultats en nombre de voix de l'ensemble de l'extrême droite aux élections communales de 1994.

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